Texte écrit dans le cadre de “Un film sans fin” (ci-dessous) de Olivier Moreels, enseignant, plasticien
Dans l’atelier de Claire, dans la lumière de Vermeer, espace intime vécu comme dans « une chambre à soi » de Virginia Woolf, elle donne à ses masques leur quintessence d’humanité. Le jardin sous les nuages, luxuriant et modeste se confie en écrin pour l’atelier blanc. Elle modèle un visage africain en terre noire ou le parcours terrestre d’un visage africain avec précision et douceur. Elle-même porte un masque clair de la couleur de son tablier de potière ou de laitière. Peu de paroles échangées mais une complicité créative en mouvement, dessins, essais, modelage patient et confiant pour élaborer enfin ce qui était attendu, ce beau visage de terre, ce qui devait être. Dans l’ambiance studieuse d’un cocon une émotion palpable, la lumière seule comme buttée, comme espace d’achoppement.
Temps de maturation, d’autofiction à la frontière du réel et de l’imaginaire, les mains de Claire suivent les détours secrets de son attitude mentale proche du
chamanisme. Un moment elle se regarde dans un miroir, et expérimente le « soi-même comme un autre ». Une radio démodée décline ses filets Yoruba pour la foule des masques muets ou bavards rassemblés sur des étagères. Ici un masque japonisant de sorcière édentée avec un véritable crapaud séché dans ses cheveux gris et hirsutes attire l’attention et surprend de la part d’une personne si calme et réservée. Mais c’est surtout une sculpture masque en terre noire qui nous occupent pour cette deuxième visite, un visage serein légèrement granuleux, mystérieux et pur. Ce visage abrite une véritable humanité intime et n’est pas une simple idole. Par une succession de couches et de résonances, une force de vie émane du plus profond de la terre. Claire Rigaud transforme un bloc de terre inerte en un visage vivant, apparemment paisible, sans compter les heures pour aboutir à cet éclat d’abîme arraché au néant. Gestes dans la terre informe et généreuse, reliés en secrète connivence à l’âme à venir, pour dire à sa façon « ces très fragiles chefs d’œuvre du presque rien » dont parlait Vladimir Jankélévitch.
Jean Louis Vincendeau, enseignant universitaire, plasticien